Bien s’exprimer : un enjeu d’émancipation et de cohésion sociale
Le 12 décembre 2023, la Fondation Voltaire a réuni des acteurs associatifs, institutionnels et des mécènes engagés auprès des plus vulnérables pour échanger sur l’importance de la maîtrise de la langue française au service de l’émancipation et de la cohésion sociale.
Le 12 décembre 2023, des acteurs associatifs, institutionnels et des mécènes engagés auprès des plus vulnérables se sont réunis à Paris lors des rencontres annuelles proposées par la Fondation Voltaire. Trois grands témoins étaient invités à débattre lors d’une table ronde sur le thème « Bien s’exprimer : un enjeu d’émancipation et de cohésion sociale » : Paul de Sinety, Délégué général à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture ; Clotilde Gilbert, directrice et fondatrice de l’association Wake up Café ; Étienne Gernelle, directeur de l’hebdomadaire Le Point.
Être à l’aise en expression écrite et orale est un levier décisif pour la réussite scolaire, personnelle et professionnelle, et in fine, pour le vivre ensemble. Être capable d’exprimer son opinion, ses sentiments, sa colère parfois, par les mots plutôt que d’en venir aux mains est indispensable pour « faire société ». Notre actualité nationale en 2023 a démontré à nouveau à quel point cet enjeu est clé pour notre démocratie. Or, si certains sont démunis pour bien s’exprimer alors que les autres ont ce pouvoir de la parole, un fossé se creuse entre nos concitoyens, alors que la langue est un bien commun qui devrait nous rassembler, nous permettre de mieux nous comprendre, nous inspirer l’écoute et le respect.
Comment mieux maîtriser sa parole, se relier, s’écouter pour apprendre à surmonter la violence et à faire société ? Comment rétablir l’équilibre entre les dominants et les dominés du langage ? Nos trois intervenants ont nourri les échanges de la diversité de leurs parcours et de leurs points de vue à partir d’un constat commun : renforcer la capacité d’expression des personnes les plus vulnérables contribue à rétablir une égalité des chances, permet de libérer leur pouvoir d’expression, de redevenir acteurs de leur vie, de favoriser leur contribution positive à la vie de la cité.
Paul de Sinety a rappelé que la langue française constitue un objet politique et même une passion politique dans l’histoire de notre nation, dans la formation de l’État. Sans ce bien commun, nous ne pouvons pas vivre en société. Il a souligné aussi que les inégalités sociales se traduisent toujours par des inégalités linguistiques ou réciproquement. Il a appelé de ses vœux la réalisation d’une enquête sur la perception de la langue française auprès des nouvelles générations en France
Clotilde Gilbert a témoigné de l’importance de la maîtrise de la langue française pour la réinsertion des ex-détenus accompagnés par Wake up Café depuis 10 ans. Ces personnes rencontrées en détention ou qui sortent tout juste de prison choisissent de se réinsérer en acceptant de rejoindre les parcours proposés par l’association, mais elles cumulent un certain nombre de handicaps sociaux, du fait de leur vécu (famille, éducation, culture, résidence) . Quand on manque de mots, le risque est de s’exprimer par la violence : la gestion des émotions est un vrai sujet pour les personnes qui ont fait un passage en prison : renforcer sa capacité d’expression est une des clés pour surmonter cette difficulté.
Prenant le contrepied de la question posée sur la responsabilité des médias dans l’éthique de la parole, Étienne Gernelle, directeur de l’hebdomadaire Le Point a rappelé que la liberté d’expression est absolument nécessaire et qu’elle fait toujours beaucoup moins de dégâts que l’absence de liberté d’expression. Citant Carlo Strenger, philosophe et psychanalyste israélo-suisse (« Le mépris civilisé », Belfond, 2016), Étienne Gernelle a revendiqué le droit et même le devoir de défendre les valeurs héritées des Lumières de façon un peu virulente face à la violence des discours haineux et identitaires.
Clotilde Gilbert a ajouté que les mots aident non seulement à développer ses capacités d’expression mais aussi à structurer sa pensée. C’est dans cet objectif que Wake up Café organise chaque semaine un café philo avec un professeur de philosophie. L’objectif : permettre aux « wakeurs » accompagnés par l’association de penser différemment, de s’exprimer en respectant la pensée des autres et de s’écouter.
Pour Étienne Gernelle, la première source d’inégalité en France, c’est l’éducation. Il recommande une action politique majeure pour l’émancipation par la maîtrise de la langue, en réponse au mauvais résultat de la France en matière de mobilité sociale en comparaison des autres pays de l’OCDE.
En conclusion, Paul de Sinety a lancé un appel à l’assemblée et à la Fondation Voltaire pour une journée autour de la maîtrise de la langue française avec des témoignages, des retours d’expérience, des bonnes pratiques de tous horizons pour que les acteurs qui œuvrent trop souvent les uns à côté des autres, aient envie de travailler les uns AVEC les autres pour contribuer à l’émancipation des citoyens et à la cohésion de notre société. Rendez-vous est donc pris pour début 2025 !